En 1997, Gervais Martel nomme Daniel Leclercq entraîneur de l’équipe première du RC Lens. Un choix qui va conduire le club à des hauteurs alors encore inesperées, entre un titre de champion de France en 1998 et une victoire en Coupe de la Ligue en 1999, sans oublier l’exploit de Wembley avec un succès 1-0 contre Arsenal en Ligue des Champions. Fan du joueur qu’il était, le président d’alors a vécu une expérience particulière avec Daniel Leclercq l’entraîneur, marquante sportivement et humainement. Il raconte.

L’émotion de sa disparition :
« Quand j’ai eu le coup de téléphone de son épouse à 7h ce matin, j’étais abasourdi. Je pensais qu’il était parti pour une autre vie en Martinique où il s’occupait des stages Raphaël Varane que j’ai aussi eu au téléphone. Il était retombé dans le football avec les gamins, comme un jeune homme. Il s’en va discrètement. C’était un mec qui avait beaucoup de pudeur, un grand mec. Il a marqué ma vie et le RC Lens de son empreinte. C’est une partie du RC Lens qui a foutu le camp avec lui ce matin. Il puait le football. »

Le joueur :

« Quand il était joueur, on était sidéré par les passes qu’il faisait de 30 ou 40 mètres et qui arrivaient avec justesse. Puis son entraîneur Arnold Sowinski l’a reculé en défense. En tant que défenseur central, c’était Beckenbauer ! »

L’éducateur :
« Je l’ai fait revenir au club en 1995, en division d’honneur, quand on avait 2 équipes réserves. Comme dans la DH, il y avait beaucoup de jeunes joueurs, il avait aussi suivi la Gambardella avec une défaite en finale contre le Cannes de Patrick Vieira. Il était déçu, pas seulement d’avoir perdu, mais parce que le match avait dû se jouer à Jean-Bouin à cause d’un problème au Parc des Princes. Il avait vécu ça comme une catastrophe pour les gamins. C’était Daniel. »

L’entraîneur :
« Il ne parlait jamais de l’équipe adverse. Quand on discutait avant le match, il ne parlait que de nous, il s’en foutait pas mal de savoir si on affrontait le Paris-Saint-Germain ou une autre équipe. J’ai connu des entraîneurs qui dissequaient l’équipe adverse en disant : « Attention, l’arrière gauche va se gratter la jambe gauche à la 30′.  » J’exagère mais Daniel c’était plutôt on joue notre jeu, on joue vite, on donne une solution au possesseur du ballon et on ne change pas de système peu importe les circonstances. »

L’anecdote du RC Lens-Cannes de 1997-1998 (5-4) :
« On joue contre Cannes et on mène 4-0. Cannes marque avant la mi-temps. Il rentre dans le vestiaire et dit aux joueurs que ce sont des ânes, qu’on allait perdre parce qu’ils ne respectaient rien et se prennaient pour des Brésiliens. Les mecs rigolaient, il leur a dit de se démmerder. Je me suis dit qu’il y allait fort quand même. Puis là au bout de 20 minutes il y a 4-4 et on gagne grâce à un but de Stéphane Ziani sur penalty en fin de match. Il a dit aux joueurs : « Qu’est-ce que je vous avais dit, si vous pensez pouvoir être champions comme ça, vous êtes des rigolos ! » On a été champions parce qu’il ne lâchait rien. »

Un fort caractère :
« Il était entier. Les gens peuvent y voir le côté négatif mais les grands champions ne lâchent rien. Ils sont exigeants. Il l’était envers lui-même et avec ses joueurs. Je l’ai déjà vu partir de l’entraînement et rentrer chez lui parce que les mecs ne respectaient pas ce qu’il voulait. On ne réussit pas sans un caractère entier. Il ne laissait rien passer. Il était capable de mettre de côté Tony Vairelles sur un match important parce qu’il n’avait pas respecté des consignes. Lui, c’était le groupe avant tout. C’était aussi un mec proche des gens. Il va laisser un vide. C’est une grosse perte. Daniel était un monument et je n’exagère pas. C’était un grand footballeur et un grand entraîneur qui aimait le foot et les gens. Il ne lâchait rien avec ses joueurs mais il les aimait profondément. On a besoin de gens qui nous remette sur la bonne route, il était comme ça. C’était un guide, pas pour rien qu’on l’appelait le druide. »

Le nommer entraîneur, sa plus grande décision de président ?
« Certainement. J’en étais amoureux quand il était joueur. Et j’ai pu le rencontrer après et le côtoyer sur un autre aspect de sa vie jusqu’au bout. J’ai eu cette chance là. J’ai fait partie des inconditionnels de Daniel Leclercq. Je pourrais parler de lui pendant 5 jours parce qu’on a aussi parlé de pêche et de belotte. Il avait un côté austère mais je peux vous dire qu’on a eu des bonnes parties de rigolade ! »

Propos recueillis par Christophe Schaad