Le ton solennel, le visage fermé, Arnaud Pouille, directeur général du RC Lens, s’est exprimé ce vendredi matin sur les incidents du derby contre Lille. Il a fait le bilan des dégâts et énoncé les sanctions, fortes, entre interdictions de stade à titre commercial, mise en place d’un système d’officialisation des sections avec des contraintes, aménagements du parcage visiteurs qui va rester fermé plusieurs mois, ainsi qu’en Marek. Le tout avec la volonté de ne pas tomber dans la sanction collective et celle de contribuer à faire avancer le sujet sur le plan national, alors que la Ligue 1 est en proie à des troubles fréquents.

Le rappel des faits : Dans le parcage, « des faits qui semblent relever du hooliganisme »
Après avoir eu une pensée pour les blessés, dont le club a pris des nouvelles plutôt rassurantes, le directeur général du RC Lens a commencé par repasser plus en détails le film des évènements. Comme évoqué dès samedi, il y a d’abord eu dans le parcage lillois, avant le match, la rupture d’un filet anti-intrusion. « L’analyse des faits a posteriori par le RC Lens et qui sera soumise à l’instruction de la LFP ainsi que des autorités, démontre qu’il s’agit d’une démarche intentionnelle d’un certain nombre de personnes », a souligné le dirigeant lensois. Ensuite, il a donc été question des évènements de la mi-temps, avec une rupture des cordons de sécurité au niveau du parcage et des zones tampons, puis des scènes de violence « inqualifiables, avec notamment des jets de projectiles, de sièges, de la ferraille, vers la tribune Trannin et en réplique, quelques sièges et projectiles qui repartent de celle-ci vers le parcage. »  Il a ensuite détaillé l’intrusion de spectateurs sur le terrain depuis la Marek. D’abord une vingtaine d’individus en direction du parcage visiteurs. « La section d’intervention rapide de la police est intervenue, ces 20 individus ont malheureusement été suivis dans leur élan par une centaine d’autres individus. La section d’intervention rapide et les CRS les ont repoussés vers la Marek. En quelques minutes pour repousser les individus, faire venir les secours, tout le monde a repris sa place, mais le mal était fait ». Le dirigeant a évoqué le fait que les 20 premiers individus avaient rebroussé chemin après avoir constaté la mise en place des forces de l’ordre. Après une cellule de crise, il a été décidé de prendre des mesures comme la mise en place des forces policières. Le jeu a pu reprendre sans nouvelle interruption mais avec 30 minutes de retard. « Ces faits (ceux survenus dans le parcage) semblent relever plus du hooliganisme que du supportérisme, quand on identifie certaines personnes présentes et notamment dans le parcage, qui viennent pour certains de l’étranger et qui ne sont pas, sauf erreur de ma part, des supporters traditionnels visiteurs, vous vous dites que ça dépasse largement le cadre du supportérisme tel qu’on le connait dans nos stades. » Le dirigeant a aussi précisé qu’il existait bien « un no man’s land » dans le dispositif mis en place pour séparer lillois et lensois. 3 000 places n’étaient d’ailleurs pas en vente pour des raisons de sécurité, comme le démontre l’affluence de « seulement » 36 000 spectateurs dans un stade contenant plus de 38 000 sièges et pourtant à guichets fermés.

Le comportement des clubs en amont :
Arnaud Pouille a voulu souligner que les 2 clubs n’avaient pas adopté d’attitude en amont du match incitant à la haine ou à quelconques violences. Des attitudes qui seront soumises à la LFP pour son instruction. « Les groupes professionnels, les staffs, les clubs se sont parfaitement comportés. Aucun mot déplacé, une normalisation de la rencontre, rien qui ne pouvait inciter à ce qui est arrivé à la mi-temps… », a-t-il déclaré.

Le bilan matériel et opérationnel :
Outre une convocation devant la commission de discipline et le lancement d’une instruction de 15 jours avec huis clos total pour Bollaert (et interdiction de parcage visiteurs pour Lille),jusqu’au 6 octobre « une sanction très lourde pour nous» commente Arnaud Pouille, il y a notamment des dégâts matériels, qui vont coûter cher. Les 2 huis clos représentent 2 millions d’euros de chiffres d’affaire qui s’envolent pour le RC Lens. 80 sièges ont été arrachés ou fracturés, exclusivement dans le parcage visiteurs. Cela représente 25 000 euros de dommage matériel avec aussi « des images rarement vues », de toilettes dévastées. « Franchement des images sur lesquelles on ne peut pas se dire que c’est un supporter de foot qui peut se comporter ainsi ». Il y a aussi bien sûr le cas de l’envahissement du terrain à traiter et des mesures qui y seront liées… Le RC Lens devrait en avoir pour 100 000 euros d’investissements et 30 000 euros de réparation.

Les mesures : Parcage visiteurs de la Trannin pour le moment fermé, interdictions commerciales de stade de 9 à 36 mois (dont 18 de sursis) pour ceux qui sont entrés sur le terrain, plaintes, réorganisation du relationnel avec les supporters :
Tant que le club n’aura pas aménagé en conséquences le bas du parcage visiteurs, ce qui devrait prendre plusieurs mois, il sera fermé. « Je le regrette, mais il y a des aménagements à faire (cela comprendra la mise en place d’une bâche, de plexi-glace ou encore de filets de sécurité, le renforcement des filets anti-intrusion…) puisque de fait, nous ne maitrisons pas les affectations de la population des clubs adverses. Nous ne savons donc pas le profil des gens qui se trouvent à côté de notre tribune Trannin, historiquement familial. On souhaite pouvoir encore y recevoir des familles en toute sécurité », explique Arnaud Pouille. Par ailleurs, il y a « un constat d’échec de la politique mise en place depuis 4 ans et l’envahissement contre Brest ».  Le mode de fonctionnement utilisé depuis avec les organisations de supporters sera aménagé. « Il a été défaillant, nous le regrettons. Nous allons prendre des mesures pour établir une relation saine et efficace à l’avenir. » Il y aura désormais la mise en place de contraintes pour obtenir une reconnaissance officielle de la section de supporters. « On va lister un certain nombre d’obligations officielles pour valider la reconnaissance du club de la section et la présence en Marek. On veut avoir les bons interlocuteurs pour construire et pour analyser et sanctionner quand certains ont déconné. » Concernant les supporters entrés sur le terrain, la gouvernance du club applique des sanctions fonction de celles à disposition et autorisées, via la loi Larrivé. La démarche du club a été de défendre le principe de sanction individuelle et non collective. Toutes les personnes identifiées parmi ceux qui sont entrés sur la pelouse (17 pour le moment mais le travail d’identification va se poursuivre) feront l’objet d’une interdiction, d’ordre commerciale, de stade Bollaert allant de 9 mois (+12 avec sursis) à 36 mois (le maximum mais qui est attribué dans le cadre d’un mélange de suris et de sanction ferme, soit 18 mois ferme, 18 de sursis). Ces sanctions permettent au club de prendre des mesures immédiates en attendant que la justice adresse éventuellement ses propres mesures. Dans ce cas, les sanctions prises par le club pourront peut-être être réétudiées en fonction de ce que dira la justice. Il n’y aura en tout cas en attendant aucune exception de la part du RC Lens, que les personnes soient issues de groupes ultra ou non. Il annonce une « intransigeance totale » : « Le président l’a dit, le club y tient : le terrain est sacré. Vous restez derrière le cordon », a commenté Arnaud Pouille. Le dirigeant a souligné que les mouvements de foule, peu importe leur motivation, pouvaient entraîner le risque, par enchaînement de dégâts très importants et dangereux. En Marek aussi, il y a aura des mesures. En 2017, un filet anti-intrusion a été mis en place. Le fait qu’il y ait 2 mouvements a créé une brèche au milieu après le premier. Le dispositif sera aménagé. Par ailleurs, le RC Lens va demander à l’ensemble des sections de ne plus se situer sur le muret de la Marek. De plus, le club va déposer plainte contre tous les gestes d’exhibitionnisme ou faisant l’apologie du nazisme ainsi que toute forme de comportement déviant.  Des plaintes nominatives si la personne est identifiée, ou contre X le cas échéant.  Le RC Lens annonce coordonner ses efforts avec toutes les autorités  et instances concernées pour agir contre ces évènements qui se répètent en Ligue 1 depuis le début de la saison.

Le dialogue et la confiance avec les supporters :
Le RC Lens a-t-il pris à la légère le contexte de derby ? Arnaud Pouille répond : «Il y a une rivalité sportive historique, un ADN spécifique autour de ce derby mais je pense que parmi les supporters de la région il y a un fond de valeur commune. Nous demander, en le découvrant dans le stade, de traiter les comportements de hooligans dans un parcage qui n’est pas le notre, c’est un peu trop nous demander. S’il n’y a pas de principe de confiance, vous ne pouvez pas construire des choses. Je ne peux pas dire que je n’ai pas confiance en mes supporters. Il y a 99,99% des supporters en qui j’ai une extrême confiance. » Néanmoins, le dirigeant reconnait une défaillance dans cette confiance vis-à-vis du tifo Lillois Merda qui n’était pas celui attendu par le club. « A nous de nous adapter sur le sujet des banderoles que les supporters essayent de faire entrer par n’importe quel moyen.. L’envahissement est je pense une réaction, le jet de projectile aussi, mais les banderoles déployées à l’intérieur des tribunes… malheureusement s’il faut regretter certains messages, ça c’est le jeu de certains supporters. Là où peut se poser une problématique, c’est sur le déploiement du tifo qui n’était pas le message initial. Depuis qu’on est en tribune debout, on distribue les feuilles en tribune, ce n’est plus disposé sur les sièges et c’est difficile de contrôler le message final. Ensuite, sur le contenu du message, ça intervient dans un contexte, pas excusable, mais de derby qu’on n’avait pas vu à Bollaert depuis 11 ans et qui suivait la banderole déployait l’an dernier (ndlr : We Hate Lens). Mais je n’excuserai jamais, notamment sur le process. La confiance se gagne, se perd mais surtout ça se travaille. » Les sanctions ont déjà été annoncées aux supporters. Le dirigeant ne cache pas que tout n’a pas été simple : « Ils acceptent toute forme de condamnation de violence. Le plus compliqué a été de leur faire comprendre qu’ils n’avaient pas à s’introduire sur le terrain en réaction de ce qu’ils voyaient. Ils doivent comprendre que le terrain est sacré peu importe le moment. On reste dans sa tribune car les mouvement de foule peuvent provoquer des dégâts qu’on n’imagine pas. Je veux que les enfants soient en toute sécurité. Il y a aura une réaction je pense des supporters. Qu’ils comprennent sera la première étape. Ils s’exprimeront sûrement. Cela a fait l’objet de plusieurs réunions et cela a été compliqué, mais c’est notre décision et elle ne bougera pas. »

Le huis clos partiel à Angers suscite une certaine incompréhension :
« Pour comprendre quelque chose, il faut savoir l’expliquer au plus grand nombre et là j’ai du mal. Laissons faire. Ce qui s’est passé à Angers et se passe à Angers. Mais j’avoue que j’ai du mal à m’expliquer car il y a aussi 2 tribunes fermées. Nous il y en avait « 3 », c’est peut-être ça, mais je ne sais pas l’expliquer. Nous on agit, on bosse, on traite. Oui on constate qu’il y a un phénomène en France qu’il faut gérer. Si ça doit passer par notre sanction, on l’accepte et on continue notre chemin. A tous les niveaux il y a des décisions qu’on ne comprend pas, pas grave, demain sera meilleur. »