Au cécifoot, football adapté aux non-voyants et malvoyants, le gardien a la particularité d’être le seul joueur voyant. Ce qui lui confère un rôle d’autant plus important. Le gardien du RC Lens Cécifoot Lucas Grosset, éducateur spécialisé de 25 ans quand il n’est pas sur les terrains, également amené à répondre à des convocations avec l’équipe de France Espoirs et l’équipe de France A, nous raconte.

Lensois.com : Lucas Grosset, comment êtes-vous devenu gardien d’une équipe de cécifoot ?
À la base, je faisais du football valide. Si j’ai été gardien de 4 à 6-7 ans, je jouais alors en tant qu’ailier. J’ai évolué à Wasquehal qui était au niveau CFA. Après une fausse promesse d’un président, j’ai arrêté le foot classique du jour au lendemain. Il se trouve que je participe aussi à une activité de foot loisir, du 7 contre 7 sur moitié de terrain et dans la structure, une personne travaille dans le domaine du handisport : Anthony Puaud. Il est le coach de l’équipe de France de goalball, une discipline handisport. Il connaissait une équipe de cécifoot qui recherchait un gardien. Etant très curieux, j’ai accepté la demande. C’était le club de l’AS Violaines, qui est par la suite devenu la section cécifoot du RC Lens. J’ai essayé et j’ai tout de suite retrouvé la passion de jouer au foot, de m’entraîner, de jouer et je m’apprête à entrer dans ma 7e année au sein de la discipline.

Vous dites que le cécifoot vous a rendu tout de suite le goût de l’entraînement, la passion de jouer au foot. Pourquoi ?
C’est l’ambiance. Quand j’étais dans le football valide, j’ai vécu un contexte de concurrence malsaine. Il pouvait y avoir des coups dans le dos, c’était vraiment chacun pour soi et en arrivant dans le cécifoot, je me suis retrouvé au milieu d’un collectif où tout le monde tirait dans le même sens et faisait les efforts les uns pour les autres.

« Je fais abstraction du handicap, des fois je leur dis : « Bien vu ! » »

Par sa voix, Lucas Grosset, de son poste de gardien, doit être “les yeux” de ses coéquipiers.

Êtiez-vous familier avec le handicap de vos nouveaux coéquipiers. Avez-vous dû faire un travail pour vous y adapter ?
Je découvrais car j’ignorais toutes les spécificités engendrées par la déficience visuelle mais aussi de quoi était capable un non voyant. J’ai découvert l’existence d’établissements spécialisés, d’où pouvait venir la cécité. Par contre, moi quand je suis arrivé, je n’ai rien changé (rires) ! Parfois, avec une personne porteuse d’un handicap, on peut chercher à être plus gentil, à faire plus attention. Moi pas du tout, je suis resté le même. Des fois sur le terrain j’ai des expressions envers mes coéquipiers comme « Bien vu ! » ou « Regarde où tu tires ! » Je les vois comme des personnes normales puisqu’elles le sont et je fais abstraction de ça. Et s’il faut que je taille, je taille (rires).

 

Quelles sont les spécificités du rôle de gardien dans une équipe de cécifoot, par rapport à celui de gardien dans le football classique ?
Ce qui est largement différent, c’est que le rôle se rapproche plus de celui d’un gardien de handball. On est beaucoup sur les réflexes. Puis il y a la communication : le gardien est le seul voyant sur le terrain. On est les yeux de l’équipe. C’est beaucoup de communication, d’indications d’informations à partager qu’ils ne vont pas forcément avoir autrement. Tout ce qui est sonore, c’est OK, mais si un joueur est seul, je vais devoir donner toutes les indications à mon défenseur qu’il n’est pas en mesure d’avoir. C’est un truc qui se travaille aussi en dehors du terrain. Un jour, un joueur qui est parti, Mohammed, m’a dit : « Tu sais Lucas, tu viens d’arriver et nous on fait confiance à ta voix avant tout ». Cela m’a beaucoup marqué car j’ai compris que quand on joue, il faut aussi faire très attention au ton utilisé. Si j’ai l’air paniqué, je peux le transmettre à mon défenseur. Comme ils ne voient pas, ils ressentent l’intonation de la voix d’autant plus fort. Si je panique en m’exprimant, je peux apporter de mauvais indicateurs et amener mon défenseur à s’y perdre lui-même sur le terrain. J’essaye d’être toujours « no stress ». Notre rôle est aussi important en dehors du terrain. Dans les vestiaires, le gardien va vérifier que tout le monde est bien habillé pareil, s’assurer qu’il n’y a pas de blessure du vestiaire au terrain, que chacun soit en sécurité, en quelque sorte. La voix est très importante aussi en dehors.

Le fait que les adversaires soient non-voyants ou malvoyants change-t-il aussi quelque chose pour le gardien, avec une plus grande part d’inattendue ?

Oui. Comme je le disais, on est beaucoup sur du réflexe. Ce qui est dur à travailler en tant que gardien, c’est le fait d’être concentré sur le ballon et sur ce qu’il se passe autour. En donnant les indications, on peut se déconcentrer légèrement et se détourner du ballon, on n’est alors pas à l’abri d’un petit pointu ou d’une frappe qui sort de nulle part. Il faut vraiment savoir faire 2 choses en tête temps.

Des échéances avec les Bleus dans le viseur (Crédit photo : Cécifoot France).

« Je veux mon ticket pour les Jeux paralympiques de Paris en 2024 ! »

Le groupe de Franck Haise a essayé le cécifoot la saison dernière. Avez-vous eu l’occasion d’échanger à ce sujet, sur leur retour d’expérience ?
Jean-Louis Leca avait essayé en tant que joueur de champ donc nous n’avons pas pu en parler, mais par exemple, Seko Fofana, c’est incroyable : j’espère qu’il ne perdra jamais la vue parce que ce n’était plus le même joueur  au cécifoot ! (sourire). Contrairement à un Yannick Cahuzac qui nous expliquait que dès qu’il avait le contact avec le joueur adverse, il ne le lâchait plus. Comme il en a l’habitude, il ne lâchait plus le joueur du match ! Alors que Seko nous disait que quand ils avaient le ballon, ils avaient peur qu’un joueur leur rentre dedans, qu’ils ne savaient pas vraiment où ils allaient. C’est une perte de repères. Moi aussi j’ai essayé et je suis mieux dans les buts (rires) ! On a peur de foncer dans quelqu’un ou sur les barrières que nous avons sur le côté du terrain. Tu as de l’appréhension car les joueurs de cécifoot courent comme vous le feriez dans la rue alors que nous, quand on met le masque, on a tout de suite le réflexe de mettre les mains devant. Ça empêche d’avoir l’équilibre avec le ballon que l’on perd d’autant plus facilement. Il y a beaucoup de crainte quand on met le masque.

Sur un plan personnel, quelles sont vos ambitions pour la suite alors que vous avez été appelé à participer jusqu’ici à des rassemblements avec les espoirs français et même de l’équipe A ?
Je suis confiant pour la suite. L’objectif personnel pour moi, c’est clairement la Coupe du monde en 2023 en Angleterre. Puis à long terme, même si ça commence à se rapprocher, ce sont les JO, les jeux paralympiques à Paris. Là, je veux mon ticket ! Cet été, l’équipe de France a été championne d’Europe. J’ai appris que je n’y allais pas une semaine avant, c’était très dur !

C’est lui, le dernier rempart de l’équipe.

Et pour finir, porter le blason du RC Lens, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Quand on est petit et qu’on joue au foot, le rêve, c’est d’être professionnel. Finalement c’est au cécifoot que j’ai l’occasion de représenter une équipe pro. On a eu la chance de profiter des équipements du club, de leurs maillots. C’est une énorme fierté d’être reconnu au sein du club. On porte fièrement le blason, avec le dos bien droit !

Propos recueillis par Christophe Schaad